Bucarest dans les arbres
Deux maisons, trois arbres, un chantier
Prendre Bucarest par le bout du coeur, c’est accorder plus d’importance à ses jardins privés, croulant sous la vigne et le jasmin qu’à ses pavés disjoints et son macadam hasardeux. C’est savoir qu’au gré des petites rues, à deux pas des grandes artères, se cachent des salons de thé au fond de jardins calmes et accueillants. Si vous savez la mériter, Bucarest vous prend dans ses bras dès votre arrivée et distille son énergie spirituelle jusque dans vos cellules. La rencontre avec Bucuresti ne peut qu’être physique et spirituelle en même temps. L’on comprend mieux alors, la grande créativité et la vitalité du peuple roumain. Bucarest est une ville plus propre, plus calme et beaucoup moins polluée que Paris, les passants ne vous y bousculent pas, l’on flâne sans être dérangée, avec le sentiment de retourner en arrière, dans un passé empreint de douceur de vivre. A Bucarest, où les vibrations spirituelles sont plus élevées, on se tient beaucoup par la main, entre parents et enfants et entre amoureux de tous âges.
Ici tout est arrondi, à commencer par les milles et uns éléments architecturaux, arrondis comme les deux valves du cœur et je m’étonne encore que l’on compare Bucarest à Paris, elle toute en angles. Pour moi, elle serait plutôt niçoise, pour sa connexion fusionnelle avec la nature. Mais la Roumanie toute entière échappe aux comparaisons, aux petites boites très étroites qui enferment et affirme son originalité à tous les coins de rue.
Ici les bancs publics, les boites aux lettres et les poubelles de fonte, sont de vraies œuvres d’art !
Il n’y a pas jusqu’aux câbles électriques qui ne dressent eux aussi, un enchevêtrement de noeuds et de volutes le long des mâts, tout en rondeurs. On se demande étonné si cela peut marcher, si cela tient le coup sous l’orage et si enfin, la fée électricité n’est pas roumaine, pour survivre à tant de fantaisies.
J’ai fini rapidement par y voir, la continuité du génie créatif roumain, transplantant dans l’imaginaire urbain, aux yeux de tous, ce qui lui reste des cultes magiques aux arbres, de la dendrolâtrie de sa tradition populaire !
Quelque part dans le parc Cismigiu un violoniste talentueux envoie vers le ciel, des notes d’une sublime perfection. Adossée à côté de lui sur son banc, je sens vibrer dans mon dos, chaque coup de son archer, qui imprime en moi, ces notes, ce silence, ce talent et ce ciel bucarestois, attentif au don.
Et puis il y a aussi, toutes ces vieilles maisons et ces palais, abandonnés ou réhabilités, dignes et encore pleins d’amour, tout droit sortis d’un conte de fée. Les outrages du temps ne parviennent pas à les enlaidir, à les désespérer, à les rendre moins vivants et moins présents. On voudrait tous les sauver. La jeunesse bucarestois elle, tague consciencieusement jeunes et vieux bâtiments, sans discernement et jonche les escaliers de mégots de cigarette, mais les enfants tiennent sagement la main de leurs parents, tous sans exception. Les roumains contrairement aux français ne traversent pas au rouge, ne laissent pas leurs moutards derrière eux et ne patinent pas sur les trottoirs, en accrochant tout et n’importe qui, sans rien voir. A Bucarest, je respire.
Cette communion avec la nature n’a pas quitté Bucarest où les arbres, les buissons, la végétation exubérante enserrent amoureusement, les maisons, les grilles, les fenêtres. Sous une canopée de cerisiers, un coq chante en plein cœur de la ville. Les parfums du jasmin, du chèvrefeuille, de la rose ou du tilleul, embaument soudain, au coin des rues. Plus loin, c’est la vigne qui descend en avalanches bien ordonnées comme les plis d’une robe savamment arrangée, au ras du trottoir. A l’hôtel, les fleurs recouvrent les murs, doucement devenues lumières leds. Les signes sont nombreux du non renoncement à l’enracinement dans la terre mère, Tzara Romaneasca !
Pour qui sait voir avec les yeux du cœur, ce contraste saisissant avec les barres d’immeubles héritées du communisme, rend Bucarest encore plus vivante, créative et émouvante. C’est pourquoi, je me suis attachée à photographier cette fusion, cette communion entre Bucarest et sa végétation dont j’ai senti avec joie, la réalité cosmique.
« Mes cahiers ont l’air d’herbiers en préparation car il n’est fleur sur tige qui n’y soit nommée. C’est que ce peuple-ci ne passe jamais, des propos ordinaires ou du silence à la chanson sans en avertir l’auditoire, par une exclamation brève, sorte de préambule qui doit évoquer d’abord, avant que l’on dise ce que l’on va dire, une fleur ! Une fleur, un feuillage, une plante des bois, des jardins, du sable ou des eaux. Délicatesse de ces prémisses, précaution oratoire de qui tremble encore de n’être pas compris… Nul homme ne parlera de celle qu’il aime avant d’avoir suscité la tendresse chez celui qui l’écoute, en nommant d’abord quelque chose de tendre, qui fleurit et qui verdit. »
Princesse Marthe Bibesco
Isvor
Photos reportage de Christine Colonna-Cesari / Cesarine.
Bucarest. Mai 2017